A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Alors que la Tunisie fait face à des périodes récurrentes de sécheresse ainsi qu’au danger rampant des changements climatiques, une nouvelle politique de l’eau s’impose. Selon l’ancien secrétaire d’Etat et expert en eau, Abdallah Rabhi, la valorisation de cette ressource précieuse est aujourd’hui une nécessité avérée et doit être au cœur de son nouveau mode de gestion.
“Notre eau est rare. Elle est vulnérable en raison de sa surexploitation mais aussi de l’accentuation du phénomène de salinisation”, a mis en garde l’ancien secrétaire d’Etat chargé des ressources hydrauliques et de la pêche, Abdallah Rabhi. Dans une interview accordée à La Presse, l’expert en eau est revenu sur les enjeux qui guettent un secteur vital pour la nation et a insisté sur la nécessité d’adopter un nouveau code des eaux, désormais un impératif dans ce contexte de stress hydrique. Évoquant les législations qui régissent actuellement la gestion des eaux en Tunisie, Rabhi a fait savoir que ces textes, qui datent de 1975, sont devenus pratiquement obsolètes, alors que le secteur fait face aujourd’hui à de profonds changements.
La politique de l’eau doit changer
En effet, le contexte économique et social du pays a, depuis, beaucoup changé entraînant des conséquences directes sur les ressources en eau en Tunisie. Autrefois, le pays a axé ses efforts sur la prospérité et le développement économique, et donc, n’était pas très regardant sur la gestion rationnelle de l’eau. Aujourd’hui, la donne a beaucoup changé et de nouvelles contraintes ont émergé poussant les autorités à repenser leur vision pour le secteur, explique-t-il. “Lorsque le code de l’eau a été introduit en 1975, il n’y avait pas de contraintes en matière de ressources hydriques. L’eau était disponible et le cap était fixé sur le développement économique du pays. L’eau souterraine stockée dans les nappes phréatiques n’était pas exploitée parce que les techniques de forage n’avaient pas été encore introduites en Tunisie. L’agriculture irriguée, était alors à un état embryonnaire, avec seulement 60 mille hectares de surfaces irriguées situées principalement dans la basse vallée de Medjerda, en l’occurrence les zones de Manouba, l’Ariana, le sud du gouvernorat de Béja outre le Cap Bon. Donc, l’offre en eau était largement supérieure à la demande”, a-t-il poursuivi. Aujourd’hui, les besoins en eau pour l’irrigation ont explosé avec l’accroissement des superficies irriguées qui s’élèvent actuellement à 450 mille hectares. De plus, la croissance démographique exerce également une pression sur les ressources hydriques disponibles. La population qui, dans les années 60, ne comptait que 3 millions d’habitants, devrait atteindre 13,8 millions en 2050. Selon Rabhi, la demande en eau dépasse aujourd’hui l’offre, malgré les efforts déployés pour mobiliser un maximum d’eaux disponibles. “On est à 95% de mobilisation des eaux de surface, cela veut dire que toutes les eaux de surface sont stockées par les barrages. Les 5% restants sont inaccessibles car elles nécessitent la construction de barrages très coûteux et techniquement complexes, tels que le barrage Oued Tessa. A cela s’ajoute que les nouveaux barrages ne sont pas dotés d’une importante capacité de rétention”, a ajouté l’expert.
Quelles sont les priorités auxquelles il faut s’attaquer ?
Par ailleurs, le changement climatique constitue un défi majeur pour le secteur de l’eau. En effet, la variabilité du climat de la Tunisie devrait s’accentuer avec les effets des changements climatiques qui affectent particulièrement les pays de la Méditerranée. “Les nouveaux textes doivent tenir compte de cette limite”, a commenté Rabhi.
Le nouveau code des eaux devrait également consacrer le principe de la valorisation de l’eau en s’attaquant aux problèmes de surconsommation et du gaspillage. L’ancien secrétaire d’Etat évoque un autre concept important à prendre en considération, à savoir les flux d’eau. Ce concept permet de voir les échanges commerciaux à travers le prisme de l’eau, en particulier l’eau consommée pour la production des biens et des aliments échangés. “Lorsqu’on importe un produit, généralement on importe de l’eau. Donc, on a intérêt à exporter des produits qui ne consomment pas beaucoup d’eau et à importer des produits hydrovores. Prenons des exemples pour mieux comprendre cette notion. La production de 1 kilogramme de viande consomme 20 mille litres d’eau. Pareil pour les palmeraies, où la production des dattes requiert des quantités énormes allant jusqu’à 20 mille mètres cubes par hectare. La valorisation de l’eau représente donc la valeur économique d’un mètre cube d’eau. Tous ces chiffres devront, in fine, déterminer les politiques agricoles à suivre”, a-t-il enchaîné. Et le spécialiste d’ajouter “: Le nouveau code de l’eau devrait être au diapason de tous ces défis”. Ainsi, pollution hydrique, pertes d’eau, gouvernance de l’eau, lutte contre la surexploitation notamment avec l’instauration de sanctions, encadrement de l’utilisation des eaux usées … sont toutes des priorités auxquelles les nouveaux textes vont devoir apporter une réponse tout en ne perdant pas de vue la nécessité de s’adapter aux changements climatiques.
L’eau virtuelle: un concept à prendre en compte
Interrogé au sujet de l’eau virtuelle, Rabhi a fait savoir que la Tunisie importe environ 7 milliards de mètres cubes d’eau et en exporte à peu près 2,3 milliards, le principal produit exporté étant l’huile d’olive. Il a affirmé que cette notion soulève des questions cruciales sur les politiques agricoles à adopter: entre des objectifs à atteindre en matière de sécurité alimentaire et une réalité climatique de plus en plus sévère, il faut trouver le juste équilibre. En effet, l’expert a expliqué que l’importation de grandes quantités de blé représente, éventuellement, une bonne stratégie en cas de disette, pour économiser les ressources en eau bleue surtout lorsque le prix mondial est inférieur au coût de la production. Ainsi, une meilleure allocation de l’eau et de la terre peut être considérée. De plus, il est également possible d’envisager une modification de la répartition régionale des cultures en tenant compte des teneurs en eau virtuelle notamment l’eau virtuelle bleue. “Les indicateurs économiques et l’usage de l’eau peuvent provoquer une augmentation des flux échangés d’eau virtuelle mais qui sera en faveur des cultures économiquement plus productives et moins consommatrices d’eau”, a-t-il conclu.